初心 Shoshin, l'esprit du débutant
Les
arts martiaux japonais sont intimement liés au Bouddhisme, au
Shintoïsme, et dans une moindre mesure au Taoïsme et au Confucianisme.
Un des concepts hérités du Bouddhisme est celui de shoshin, l'esprit du débutant.
Shoshin consiste à avoir
l'attitude et l'état d'esprit de quelqu'un qui s'engage dans une
pratique pour la première fois. Une attitude faite d'enthousiasme, de
modestie, d'humilité et d'absence de préconceptions.
Shoshin est très souvent
illustré par une histoire de sagesse mettant aux prises un maître de zen
et un étudiant. Il en existe plusieurs versions mais l'essence est
celle-ci:
Un célèbre maître de zen
reçoit un jour la visite d'un homme qui déclare vouloir étudier avec
lui. Le maître l'invite à boire le thé pendant que le visiteur lui
expose son passé, lui décrit son cheminement spirituel, ses découvertes,
ses réflexions et nomme les maîtres qu'il a côtoyés.
Le maître écoute
patiemment et recommence à lui verser du thé dans sa tasse déjà pleine.
Celle-ci se remplit à ras bord et finit par déborder, le thé coulant
tout autour. L'élève s'écrit alors "Que faites-vous?! Ma tasse est déjà
pleine!".
Et le maître lui répond
"Comment voulez-vous qu'un enseignement pénètre votre esprit alors qu'il
est déjà plein comme cette tasse?"
Un débutant arrive souvent
avec des préconceptions liées à ce qu'on lui a raconté, ce qu'il a pu
lire ou voir sur la voie dans laquelle il s'engage. A une époque où nous
croulons sous les informations superficielles il aura des attentes et
une vision de ce qu'il va étudier et de la façon dont se déroulera son
apprentissage. La situation sera d'ailleurs exacerbée s'il possède une
précédente expérience martiale, ou pire encore un vécu dans la même
discipline.
Mais généralement un débutant
se rend rapidement compte de l'écart qui sépare ce qu'il croyait
deviner et ce qu'il découvre. Face à la réalité il décidera alors si il
désire s'engager plus avant ou chercher un autre chemin.
Pour un ancien retrouver le
shoshin est extrêmement difficile mais encore plus indispensable à sa
progression. Les années passant on se familiarise naturellement avec la
discipline que l'on étudie. L'environnement du dojo, les techniques, les
rituels de la pratique tels que les saluts deviennent une habitude. Et
de l'habitude naissent des automatismes. Des automatismes qui nous
permettent de pratiquer avec plus d'aisance et de facilité.
Mais c'est aussi là que la
progression cesse souvent brutalement. Et l'on met parfois des mois, des
années à s'en rendre compte. Certains se complaisant à ce stade n'en
prendront parfois même jamais conscience. Il y en a parmi les anciens
que l'on retrouve dans tout dojo. Habiles et impressionnants au premier
abord, ils sont souvent des modèles auxquels on s'identifie. Mais les
suivre peut-être dangereux car ils sont bloqués à une étape et que leur
compréhension reste limitée. L'ancien qui se remet en question et
cherche est un meilleur modèle, même s'il peut être moins flamboyant au
premier abord…
L'aisance
amène généralement l'orgueil. Et l'habitude nous amène en permanence à
lier ce que l'on voit à ce que l'on connaît déjà. C'est la raison pour
laquelle les élèves d'un maître sont souvent incapables de le suivre
dans son évolution. Bloqués à une étape de sa pratique qu'ils maîtrisent
ils ne saisissent pas les changements, le regardant aujourd'hui mais
voyant ce qu'il faisait hier… Certains ne dépasseront jamais le stade de
pratique qu'ils ont maîtrisé et continueront indéfiniment à peaufiner
des techniques dans un travail intermédiaire sans passer à l'étape
suivante.
Beaucoup ont ralenti ou cessé
leur pratique durant les vacances estivales. De retour au dojo le
premier réflexe est généralement d'essayer de retrouver ses marques, ses
sensations. Je crois au contraire que c'est l'occasion de rechercher en
soi le shoshin, l'esprit du débutant.
Il est difficile de se mettre
en danger et l'homme cherche toujours la facilité et le confort.
Imaginez que vous voyez pour la première fois le professeur ou l'expert
qui est devant vous. Retrouvez l'attention que vous aviez lorsque vous
avez commencé à pratiquer. Chassez toute pensée qui vous dira au premier
geste que vous reconnaîtrez qu'il s'agit de telle ou telle technique.
Luttez contre la croyance que vous savez faire. Oubliez ce que vous
savez ou croyez savoir, et commencez cette nouvelle saison avec un
esprit neuf et ouvert.
En luttant contre notre
orgueil et nos préconceptions au dojo, nous pouvons développer une
attitude positive qui nous aidera dans chaque domaine de notre vie.
C'est ainsi qu'un travail concret sur la technique amènera des
changements dans notre cœur et notre esprit. Le shoshin développe un
esprit vierge de préjugés et une attention aiguisée qui nous permettent
de voir les leçons qui s'offrent à nous à chaque instant…